26 janvier 2020

EDITO – Janvier 2020

Lancez le sujet « gaspillage » lors d’une soirée entre amis. Certains évoqueront aussitôt les poubelles pleines d’emballages inutiles, d’autres stigmatiseront l’obsolescence programmée de nos objets quotidiens et d’autres encore confesseront à voix basse que leur penderie est remplie de vêtements et de chaussures qu’ils ne mettent jamais. Mais un mode de consommation semble échapper à toutes les remises en cause : les biens numériques.

Pendant très longtemps, les automobiles étaient appelées à témoigner de l’importance de leur propriétaire. Plus elles étaient grosses et puissantes, plus on était réputé important. Depuis quelques années, ce sont les objets high tech, et notamment les Smartphones ultraperfectionnés, qui jouent ce rôle.  Peu d’acheteurs en utilisent toutes les possibilités, mais l’innovation sociale et technique permet aujourd’hui à des milliards de personnes de croire appartenir aux classes aisées parce qu’ils s’achètent des produits présentés comme exceptionnels. Quand ils les regardent, ils se sentent valorisés à leurs propres yeux et ils espèrent l’être tout autant aux yeux des autres. En même temps, l’obsolescence rapide de ces objets alimente notre propension à les renouveler. Le téléphone de nos parents a été utilisé pendant cinquante ans, celui de nos enfants est programmée pour devenir obsolète en deux ans.

Le problème est que les matériaux indispensables pour fabriquer les téléphones mobiles, les ordinateurs, les casques de réalité virtuelle et les infrastructures du numérique sont rares et coûteux à extraire et fabriquer. En plus, chaque clic que nous faisons, chaque bit qui traverse l’espace, consomment de l’énergie. Une partie provient des centrales nucléaires, mais une grande part est fournie par le charbon brûlé dans les centrales thermiques. L’économie numérique génère un immense gaspillage alors que tout le monde ne profite pas de ses services, contrairement à la nourriture.

Ce gaspillage est alimenté par l’idéologie de l’entrée dans un nouveau monde, signe de modernité et d’appartenance élitiste. Ainsi en est-il des consoles de jeux et des smartphones, dont les enquêtes montrent que les primo-acquéreurs sont en majorité les familles modestes. Ces outils promettent aussi de développer une puissance toujours plus grande, mais leurs performances sans cesse croissantes fabriquent des besoins nouveaux au fur et à mesure qu’ils prétendent satisfaire les précédents.

L’économie de l’attention, fabriquée et entretenue par les fabricants des réseaux sociaux, est bien connue, mais la réalité virtuelle, très coûteuse en termes de matériaux et d’infrastructures, entraîne de nouveaux gaspillages. Des milliers de personnes sont mobilisées pour nous faire acheter toujours plus de produits dont l’obsolescence est de plus en plus rapide, au détriment à la fois de la qualité de notre vie et de l’environnement mondial.

Alors, apprenons dès aujourd’hui à utiliser nos appareils technologiques de manière ciblée, pour des activités précises et non par ennui. Nous ne nous en porterons que mieux, et la planète aussi.

 

S.T.

 

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université de Paris (CRPMS).

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Serge Tisseron

Psychiatre, membre de l’Académie des Technologies, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches en Sciences Humaines Cliniques, chercheur associé à l’Université de Paris.