5 avril 2018

Eloge du bébé dessinateur, et du médecin prescripteur de crayons de couleur

Il y a une vingtaine d’année, quelques communes ont eu la bonne idée de donner à chaque nouveau-né son premier livre. Excellente initiative, mais c’était encore compter sur les parents pour les lire. Et ceux qui ne lisent pas le français ? On peut regarder les images, me direz-vous. Mais le bébé vient au monde doté d’un irrésistible désir de transformer le monde. Et l’un des premiers moyens dont il dispose pour cela est de laisser des traces. Il passe son doigt dans une substance, le déplace, regarde l’effet obtenu et s’en réjouit. Ma thèse de psychologie passée en 1983 (et en partie reprise dans mon ouvrage Psychanalyse de la bande dessinée paru en 1987) ne parlait que de cela.
Mais aujourd’hui, qui achète encore des crayons et du papier aux enfants pour dessiner ? En 2003, dans Les Bienfaits des images, je constatais que beaucoup de famille préfèrent mettre leur enfant devant la télé, et je leur demandais de leur laisser au moins utiliser la télécommande pour rendre à l’enfant le rôle actif que le papier encourage si bien chez lui et que la télévision détruit en le transformant en simple spectateur de ce qu’il voit sur l’écran. Ceux qui ont décortiqué la vingtaine de livres que j’ai consacré aux écrans ont trouvé dans ces quelques lignes le seul angle par lequel il leur semblait possible de m’attaquer en pouvant me faire dire ce que je n’ai jamais dit, et que l’ensemble de ce que j’ai écrit dément explicitement : un éloge de la télévision pour les bébés ! Je conseille à ceux qui trouveraient citées ces quelques lignes de se reporter au livre entier, qui a d’ailleurs été récompensé par le Prix Stassart de l’Académie des Sciences Morales et Politiques. Ils découvriront que ceux qui ont voulu me discréditer de cette façon ont en réalité créé leur propre page de honte et de mauvaise foi.
Aujourd’hui, certains parents pensent rendre à leur enfant son rôle actif en le mettant devant des outils numériques plutôt que devant une télévision. Mais c’est confondre le mouvement libre de la main avec le geste de frotter un écran du bout du doigt.
Dans d’autres familles, la situation est bien pire : les premiers crayons apparaissent dans la maison seulement le jour où les parents sont invités à en acheter dans le cadre des fournitures scolaires.
A 3-6-9-12, nous proposons que soient offerts à chaque enfant venant monde une ramette de papier et une boîte de crayons de couleur. Et que les médecins généralistes et les pédiatres donnent ce conseil à tous les parents : achetez du papier et des crayons à vos bébés !

S.T.

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université Paris VII Denis Diderot (CRPMS).

photo de l'auteur

Association 3-6-9-12

Un regroupement de praticiens de terrain, de chercheurs et d’universitaires, qui souhaitent participer à une éducation du public aux écrans et aux outils numériques en nous appuyant sur les balises 3-6-9-12 imaginées par Serge Tisseron.