2 mai 2021

La fabrique de l’addiction : le « jeu gratuit » qui fait payer plus

Les jeux en réseaux sont connus depuis longtemps pour augmenter le risque de jeu pathologique. Mais depuis quelques années, un nouveau phénomène préoccupant est apparu : les jeux vidéo intègrent des stratégies de jeux de hasard et d’argent tandis que les jeux de hasard et d’argent crée des environnements vidéoludiques semblables à ceux des jeux pour enfants. Le gaming intègre du gambling et le gambling se gamifie.

Commençons par le gaming. Jusqu’en 2018, le joueur achetait pour une somme fixe un jeu censé lui procurer du plaisir, un peu comme un lecteur achète un livre dont il attend également le plaisir de sa lecture. Le jeu dit « Free to Play », c’est-à-dire jouable gratuitement sur Internet en réseau, a bouleversé ce modèle économique en organisant cinq stratégies « de rétention » des usagers qui ont fait leurs preuves dans les jeux de hasard et d’argent.

  • le FoMO (pour Fear of Missing Out), ou peur de manquer des événements exceptionnels ;
  • l’effet de rareté (objets destinés à modifier l’apparence de son avatar (on parle alors d’achats cosmétiques), mais aussi d’émoticônes ou de la possibilité de débloquer de nouvelles actions dans le jeu) ;
  • la motivation par l’incertitude (Motivating ­Uncertainty Effect) dont les fameuses lootboxes, des boites achetées par le joueur et qui peuvent contenir ou non des objets considérés comme précieux, posant des problèmes éthiques et législatifs résolus différemment selon les pays;
  • l’aversion à la perte, basée sur le fait qu’il est plus motivant de découvrir que l’on risque de perdre par exemple 30 € que la possibilité de gagner la même somme ;
  • le biais des coûts irrécupérables (« Sunk cost fallacy »), basé sur le fait que plus un joueur dépense de petites sommes dans un jeu « Free To Play » et plus il a tendance à y rester longtemps et à y dépenser plus.

Enfin, ce nouveau modèle de jeux donne une place centrale à la visibilité du joueur, notamment à travers des plateformes comme Twitch, exploitant ainsi à son profit les habitudes des utilisateurs des réseaux sociaux.

Toutefois, alors que les stratégies de hasard et d’argent constituent l’essentiel des motivations des joueurs de ces jeux, elles sont le plus souvent à la marge pour les joueurs de jeux vidéo qui sont mus par d’autres motivations. Mais la dynamique de jeu est de plus en plus conçue pour retenir les utilisateurs avec des systèmes d’achat qui manquent de garanties et de protections de base.

Parallèlement à cette évolution du gaming, les fabricants de jeux de hasard et d’argent sont en train d’élargir leurs propositions à des jeux, évidemment réservés aux plus de dix-huit ans, qui se présenteront exactement avec le même graphisme et les mêmes interfaces que ceux qui sont actuellement classifiés « 12 » (donc jouables au-delà de douze ans) afin que les adolescents familiers de ces jeux depuis leur enfance basculent spontanément sur ces jeux de hasard et d’argent à 18 ans.

Cerulli-Harms, A. et al. (2020, juillet). Loot boxes in online games and their effect on consumers, in particular young consumers. Consulté le 25 septembre 2020 sur https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2020/652727/IPOL_STU(2020)652727_EN.pdf

 

 

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches, membre de l’Académie des technologies, chercheur associé à l’Université de Paris (CRPMS).

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Serge Tisseron

Psychiatre, membre de l’Académie des Technologies, docteur en psychologie habilité à diriger des recherches en Sciences Humaines Cliniques, chercheur associé à l’Université de Paris.