Sur le livre Panorama paru en 2023, de Lilia Hassaine (Édition Gallimard)
Dès les premières lignes du prologue, nous découvrons une enquête policière avec comme narratrice celle qui va la mener. Une disparition, banale pour un polar. Un couple et son fils de huit ans. Sauf que nous sommes en 2049. À la suite d’une révolution qui a éclaté 20 ans plus tôt suite à un énième crime jugé impuni par une population excédée par le laxisme de la justice, nous sommes plongés dans une France dystopique où on vit à l’ère de la Transparence. Fini les rideaux et les jumelles, terminées les cachotteries et les petites manies honteuses. Les familles vivront dans des vivariums exposés à l’œil curieux des passants et des voisins chargés de s’assurer qu’aucune violence n’agite le cocon familial. Vivons heureux, vivons exposé ! S’il n’y a rien à cacher, alors personne ne doit avoir peur de se montrer. Un nouveau monde où on ne peut plus battre sa femme, maltraiter un enfant ou une personne âgée en EHPAD puisque la moindre suspicion de crime déclenche immédiatement une réaction des voisins, tous en hyper vigilance sur ce qu’il se passe à côté de chez eux. Impossible de laisser tomber un emballage dans le mauvais bac sans risquer une dénonciation, inutile d’essayer de se gaver de malbouffe en cachette sur son canapé ou d’allumer un cigare sans avoir un rappel à l’ordre du Ministère de la Santé…
La famille qui a disparu vit dans un de ces quartiers de verre huppés ultra sécurisés. Comment donc trois personnes peuvent-elle s’évaporer dans un monde où personne ne peut rien cacher ? Nous sommes loin d’une histoire cauchemardesque à “La Servante écarlate” ou “Black mirror”, mais cet univers est tellement proche du nôtre que cela peut en devenir crédible et glaçant. À l’ère des réseaux sociaux où chacun expose sa vie aux yeux de tous et toutes, se pose vite la question de la frontière entre ce monde et le nôtre ?
Avec une écriture froide et incisive, l’auteure nous embarque dans des procès en direct-live où le peuple vote en ligne des peines à infliger aux délinquants. Pour perpète, tapez 3. Pour la relaxe, tapez sur qui vous voulez. Tous les avis sont autorisés. La transparence a remplacé la liberté dans la devise nationale pour garantir la sécurité de tous. Les personnes refusant de vivre sous cloche sont forcément soupçonnées de vouloir cacher des choses suspects. Ces derniers vivent dans des immeubles emmurés hors de la Transparence, dans lesquels vivre est une circonstance aggravante en cas de procès. Les autres, aiment être vus, s’exhibent en affichant une vie parfaite et des sourires figés. Juste quelques vitres fumées seront autorisées dans l’espace douche et pour les toilettes. Et pour le « devoir conjugal hebdomadaire », pour éviter le lèche vitrine, un sarcophage romantique sera dédié à la discipline pour s’isoler avec bouton d’urgence relié au commissariat en cas de migraine soudaine ou d’humeurs moins badines.
À travers sa plume aseptisée, l’autrice pousse le lecteur à réfléchir de façon très fertile et stimulante et on aurait envie de noter de très nombreuses phrases qui résonnent avec l’évolution dérangeante de nos sociétés contemporaines.
« Il suffit d’une alarme pour qu’ils se réveillent tous, observant par les vitres, la sauvagerie des hommes, curieux du moindre évènement, d’une dispute conjugale, ou d’une arrestation ».
FGM