La semaine pour apprivoiser les écrans

🌟 La Semaine (ou dizaine) « pour voir autrement », ou encore « pour apprivoiser les écrans ».

De quoi s’agit-il ?

La « Semaine pour apprivoiser les écrans », encore appelée « Semaine pour voir autrement » figure en exemple de bonnes pratiques dans l’avis de l’Académie des sciences intitulé « l’enfant et les écrans » paru en 2013. Il ne s’agit pas de se passer totalement d’écrans pendant cette période. Ne demandons pas l’impossible, nous en serions bien incapables nous-mêmes !

De façon plus modeste, mais aussi plus réaliste et plus efficace, l’objectif est d’apprendre à chacun à savoir choisir entre les écrans qu’il estime vraiment importants pour lui, et ceux qui le sont moins. Et constituer le point de départ de la création de liens de proximité, qui sont le meilleur antidote à l’abus d’écrans.

Qui concerne-t-elle ?

Chacun d’entre nous, séparément et tous ensemble ! En effet, la plus grande violence des écrans domestiques est d’enfermer leurs utilisateurs dans la solitude. C’est pourquoi il est important de nous mobiliser autour d’objectifs précis qui permettent d’expérimenter des solidarités concrètes. Il s’agit donc d’une action collective, qui ne peut se dérouler qu’en incluant une ou plusieurs institutions. Elle peut se dérouler au niveau d’un établissement scolaire, d’un quartier associant plusieurs établissements scolaires, ou d’une municipalité.

Comment se prépare-t-elle ?

Concrètement, une telle semaine (ou dizaine si on choisit d’y inclure un week-end), n’a de chance de réussir que si l’événement est préparé longtemps en amont, idéalement trois à six mois avant.

Dans la mesure où il n’est évidemment pas question de priver les usagers de leurs écrans sans rien leur offrir en contrepartie, cette période doit être pensée comme un moment d’animation aussi bien auprès des adultes que des enfants, et impliquant autant les parents d’élèves que les seniors et les diverses personnes habituellement en charge de pédagogie et d’animation.

Autrement dit, cette semaine doit être l’occasion de mettre en place une multitude d’ateliers, certains menés par des animateurs de métier, d’autres par des pédagogues, des parents et des grands-parents suffisamment passionnés par une activité ou un hobby pour avoir envie de les expliquer et d’y entraîner des participants. Toutes les activités sont possibles, allant de la couture et du tricot à des ateliers photo ou cinéma en passant par la cuisine et le sport.

Quel est son objectif principal ?

Il apparaît de plus en plus évident que la surconsommation d’écrans est directement liée à l’appauvrissement du lien social autant qu’à la multiplication des offres audio visuelles. D’ailleurs, le patron de Netflix, lorsqu’il désigne ce qu’il appelle « son pire ennemi » ne pointe pas le sport, l’amitié ou l’amour, mais… le sommeil ! Pour les fabricants de programmes, l’important est de retenir le plus longtemps possible des consommateurs, quel qu’en soit le prix qu’ils en payent dans leur vie sociale, familiale ou scolaire.

Et pourtant, il y a beaucoup de programmes de qualité. Mais les connaissons-nous ? Faisons-nous les bons choix ? Et avons-nous bien compris que s’il y a un plaisir à regarder des écrans, il y a aussi un plaisir, parfois encore plus grand, à en parler, à partager notre passion pour eux, ou notre déception, en tout cas à en faire un support de socialisation et pas seulement d’isolement. Ce ne sont pas les écrans qui sont un problème, c’est la façon dont nous les laissons envahir notre vie par facilité, et pour certains par désespoir de ne pas pouvoir rencontrer un autre humain avec lequel partager.

En quoi les semaines « pour voir autrement » diffèrent-elles des « semaines sans écrans » ?

De ce qui précède, on comprend qu’elles sont différentes sur trois points.

Tout d’abord, nous sommes beaucoup moins centrés sur les écrans, et beaucoup plus sur la création de liens sociaux différents entre les participants, autant au sein des familles qu’au sein des cités et des écoles. Nous mettons en avant la possibilité pour les personnes de mieux se connaître en créant des activités collectives, et pour cela, nous proposons de lancer ce défi au moins trois mois à l’avance de façon à y associer d’emblée les parents, leur permettre de se rencontrer, de préparer l’événement ensemble. Pour nous, ce temps est aussi important, et même souvent plus important encore, que la « semaine » ou la « dizaine ». C’est pourquoi nous choisissons d’appeler cette semaine « pour voir autrement », et dans notre esprit, il s’agit autant de voir autrement les écrans que de voir autrement ses voisins.

Ensuite, nous ne visons pas le « zéro écran » car, comme le montre les nombreux « séjours de détoxe » proposés aujourd’hui autour des écrans, le risque est de reprendre les mêmes habitudes après, que celles qu’on avait avant. En pratique, nous invitons donc les enfants et les adultes à choisir ce qu’ils ont vraiment envie de regarder, et à ne pas regarder ce qu’ils ont moins envie de regarder. Nous partons de l’idée qu’il est facile à l’être humain de se décider à ne pas faire quelque chose, mais qu’il lui est beaucoup plus difficile d’arrêter une activité qu’il a en cours, et qui le retient. Et que le problème des écrans, ce n’est pas les programmes que nous avons envie de regarder, ce sont ceux que nous regardons par lassitude, par fatigue, par désœuvrement, pour oublier des choses que nous devons faire mais que nous n’avons pas envie de faire. C’est pourquoi, en invitant les participants à choisir ce qu’ils ont vraiment envie de regarder, nous travaillons à développer chez eux la capacité d’autorégulation. Car le problème avec les écrans, ce n’est pas de savoir à quel moment nous les allumons, mais de ne jamais savoir à quel moment nous les arrêtons. Il est beaucoup plus facile de décider de ne jamais allumer un écran que d’apprendre à les arrêter. C’est pourquoi nous nous fixons cette seconde cible en priorité.

Enfin, et dans le même ordre d’idée, nous encourageons la création d’ateliers avec des activités d’écran afin d’apprendre aux enfants à prendre du recul sur ceux qu’ils utiliseront forcément après la fin de la « semaine » ou « dizaine ». Pour nous, l’important est tout autant ce qu’on fait avec les écrans que le temps que l’on y passe.

Comment faire de la « semaine pour voir autrement » un défi réussi ?

L’idée de faire de cette semaine un défi collectif suppose de se donner les moyens de mesurer, avant elle et après elle, ce qu’a été la consommation d’écrans. L’essentiel de ce qui se sera passé pendant cette semaine dépassera évidemment considérablement la réduction de temps d’écran des uns ou des autres. Les liens se seront noués, des enfants auront appris à développer avec leurs parents de nouvelles activités, des voisins qui s’ignoraient vont se découvrir soudain des complicités et des centres d’intérêt communs, tout cela est bien plus important que la réduction du temps d’écran, mais tout cela n’est pas quantifiable.

Pour que le défi de la « semaine pour voir autrement » reste dans les mémoires comme un succès dont le caractère objectif est partageable, il est essentiel d’organiser, une quinzaine de jours en amont, une enquête sur les consommations d’écran des enfants. Un questionnaire simple est mis à disposition de chacun, par l’intermédiaire des classes, mais aussi des municipalités, et bien sûr disponible sur Internet. Tous ceux qui en ont envie, parents, enfants, grands-parents, seuls, en couple ou en famille, sont invités à noter pendant une semaine leur temps d’écran quotidien. Le même questionnaire sera rempli chaque jour par chacun pendant la semaine « pour apprivoiser les écrans ».

Partout où cette semaine (ou dizaine) a été organisée, la comparaison des statistiques « avant » et « après » a montré une baisse importante de fréquentation des écrans. Encore une fois, l’important est que chacun ait appris à se découvrir d’autres activités possibles, seul, en famille ou en groupe, mais cette quantification des temps d’écran est un ciment partagé important entre tous ceux qui ont contribué au succès de l’événement, aussi bien comme animateur que comme participant.

Un concours de films au téléphone mobile pour les adolescents

Pendant cette semaine (ou dizaine), il est important de prévoir, parmi les diverses activités proposées, des ateliers de création d’images. Ils invitent en effet chacun à changer de position face aux images. Ne plus être seulement dans une posture de consommateur, mais devenir celui qui en crée, pour son plaisir et celui des autres. Dans cet esprit, il est intéressant d’organiser, parallèlement aux activités proposées pendant cette semaine, un concours de photographies ou de films réalisés par adolescents avec leur téléphone mobile. La mise en place de cette activité présente deux avantages : inviter les enfants à passer du statut de consommateurs passifs d’écran à celui de producteurs de leurs propres images. Et ensuite, montrer à leurs parents, grands-parents et pédagogues qu’ils sont capables de faire de belles choses, des choses dignes d’intérêt. Le thème de ce concours peut être un concept, comme « l’amitié », « la solidarité », « l’ennui », ou bien un objet concret qui pourrait être décliné aussi bien par son aspect physique que dans les multiples métaphores auxquels il peut donner lieu : par exemple « la fenêtre », le « couloir », « le pont », etc.

Historique

A l’origine, l’idée en revient au Dr Thomas Robinson, professeur à l’Université Stanford. En 1996-1997, il a lancé et expérimenté le programme SMART (Student Media Awareness to Reduce Television) dans deux écoles primaires de San José, en Californie. Son but, comme le nom de son programme l’indique (« apprendre à réduire la télévision »), n’était pas de supprimer la consommation d’écrans, mais de la réduire. Jacques Brodeur s’en est inspiré et a lancé au Québec, en 2003, ce qu’il a appelé « Le défi de la dizaine sans télé ni jeu vidéo », avec l’ambition de créer une période de sevrage total des écrans.

En France, la première expérience de ce type a été lancée en mai 2008 par Serge Hygen à l’école du Ziegelwasser à Strasbourg, sous l’intitulé « Le défi des 10 jours pour voir autrement ». Les médias l’ont hélas appelée « le défi des dix jours sans écran », et ils en ont du coup donné une idée fausse. Le projet a en outre été attaqué sous prétexte de brouiller les repères entre école et famille. Je l’ai défendu (notamment sur i-télé le jour du lancement) en mettant l’accent sur l’urgence d’actions visant à réduire le temps d’écrans, mais aussi sur l’opportunité de recréer du lien social de proximité. Partout où cette expérience a été menée, elle a provoqué des changements durables dans les habitudes des jeunes et des familles. Depuis 2008, Ecoconseil tente de recenser chaque année en France les défis qui ont été lancés. La revue Non Violence actualité a consacré à ces défis son numéro de janvier-février 2009 (www.nonviolence-actualité.org).

Depuis, de nombreuses autres semaines ou dizaines ont eu lieu.

Leur objectif n’est pas de nous convaincre d’éliminer les écrans de nos vies, mais de nous apprendre à ne plus nous laisser tyranniser par eux. En permettant de porter un regard différent sur les écrans et de réfléchir à leur place dans nos vies, elle constitue d’abord et surtout une façon de réapprendre à vivre ensemble.
L’association 3-6-9-12 peut vous accompagner dans ce projet avec une conférence.

Exemple de tableau pouvant être utilisé dans les écoles, quinze jours avant, puis pendant la semaine du défi.

Il peut comporter la signature de l’élève. Il est adaptable pour les adultes qui le souhaitent. Les adultes qui choisissent de le remplir pendant la semaine de test s’engagent à le remplir pendant la semaine de défi.

Serge Tisseron