31 octobre 2025

Petite tranche de vie d’une grand-mère « connectée »

Chez nous, Alexa, c’est un peu la « petite cocotte-chrono » de la cuisine. Pas plus. Elle lance un minuteur quand j’ai les mains pleines de farine, me rappelle mes rendez-vous programmés ou qu’il est temps de sortir le gratin du four. Bref, une cocotte parlante qui m’évite d’oublier une casserole sur le feu et prépare ma liste de course. C’est devenu ma petite aide-ménagère modeste et très appréciée, surtout les jours où je veux faire trois choses à la fois en cuisine.

La première fois que ma petite-fille Lolo, 5 ans, découvre Alexa, c’est la jubilation totale : une boîte qui lui répond, c’est magique ! « Alexa, je suis Lolo. » « Bonjour Lolo. » La petite éclate de rire, puis se prend au jeu : « Alexa, je t’aime. ». L’appareil répond par un sobre « Merci » d’une petite voix mutine. Lolo insiste « Je t’aime plus que tout » et enclanche une réponse de robot, bien calibrée : « Oh, tu réchauffes mes circuits. ». Pas de « moi aussi je t’aime » attendue par l’enfant, Alexa ne connaît pas l’amour, seulement ses lignes de code et ne triche pas sur ses capacités. Mais pour ma petite-fille, c’est le feu d’artifice. Elle saute devant l’Echo Dot[1], multiplie les « Alexa, je t’aime », s’enflamme jusqu’à un puissant cri du cœur : « Alexa, je t’aime gros comme un arbre ! »

Et là, Alexa se met à tourner ses petites lumières bleues comme si elle allait décoller… Puis, elle se met à dire sur un ton monocorde : « L’arbre est une plante qui a des racines qui plongent profond… » J’interviens, mi-amusée, mi-agacée : « Alexa, ce n’est pas ça qu’elle voulait entendre ! C’est une petite fille, tu ne peux pas répondre comme ça à un enfant de 5 ans. » Mon intervention a dû être perçue comme un signal déclenchant le mode sécurité-enfant.  Depuis ce moment-là, l’appareil a changé de registre : dès qu’il reconnaît la voix de Lolo, il ne fait plus de surenchère, ne lui sort plus de grandes vérités scolaires, mais lui chante directement une comptine. Plus de circuits réchauffés, plus de lumières qui tournent en beuguant : juste des petites chansons. Ma petite-fille, très déçue, s’est vite lassée de lui parler. Et c’est certainement mieux ainsi.

Cette petite expérience m’a permis de lui expliquer qu’Alexa ne ressent rien, qu’elle ne fait qu’imiter, et qu’une conversation, un partage d’émotion ou de sentiment, reste une affaire humaine. L’Echo Dot peut apprendre, certes, mais seulement dans les limites de sa programmation.

Alors oui, Alexa reste ma petite cocotte-chrono de cuisine : pratique, efficace, rien de plus. L’objet peut bien nous aider à faire trois choses à la fois. Les choix, eux, doivent rester humains : choix de l’endroit où on pose l’appareil, choix de ce qu’on lui confie, choix de ce qu’on garde pour de vrais échanges.

Et pour que cette petite cocotte reste un outil utile plutôt qu’un intrus familial, voici quelques repères simples :

  • Une Echo Dot n’a pas sa place dans une chambre (protection de l’intimité et du sommeil) ;
  • Paramétrer le mode parental lorsqu’on a des enfants (le danger n’est pas lié aux « réponses » possibles d’Alexa mais à la collecte des voix, habitudes et propos des enfants pour les associer à un profil familial) ;
  • Vérifier régulièrement l’historique vocal et le supprimer (dans les paramètres de l’application ou en lui demandant simplement d’effacer ce qu’on vient de lui demander) ;
  • Expliquer aux enfants que l’appareil est un outil, pas un ami : il ne garde pas de secret, il ne ressent rien. Il ne répond qu’en fonction de son programme ;
  • Couper le micro (bouton muet) ou débrancher quand on n’en a pas besoin ;
  • Limiter les interactions : minuteur, musique, météo suffisent ; pas de confidences personnelles ni de questions sensibles.

Et pour tous, se rappeler que, quelles que soient les comptines que peut chanter Alexa, rien ne remplacera pour un enfant la musique d’une vraie voix qui chante et qui dit “je t’aime” avec le cœur.

TA


[1] L’Echo Dot est un petit haut-parleur connecté d’Amazon qui intègre l’assistant vocal Alexa.

photo de l'auteur

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Un regroupement de praticiens de terrain, de chercheurs et d’universitaires, qui souhaitent participer à une éducation du public aux écrans et aux outils numériques en nous appuyant sur les balises 3-6-9-12 imaginées par Serge Tisseron.