« Samedis en famille » dans les crèches parisiennes : pour jouer, parler et… arrêter la télé !
Depuis la rentrée 2025, la Ville de Paris a mis en place un dispositif novateur dans ses crèches : l’ouverture le samedi matin, de 9h à 11h45, pour accueillir les familles avec leurs enfants autour d’activités gratuites et adaptées aux tout-petits. Cette initiative, intitulée « Samedis en Famille », propose une alternative conviviale aux samedis passés devant les écrans, favorisant l’interaction, la découverte et l’expérimentation en famille.
Une crèche pour toutes et tous, un lien renforcé
L’idée principale des Samedis en famille est de permettre aux enfants qui ne fréquentent pas la crèche de s’initier en douceur à la vie collective, tout en offrant aux enfants déjà inscrits la possibilité de vivre la crèche autrement, aux côtés de leurs parents. Les familles sont libres de fréquenter la crèche de leur quartier ou d’aller explorer une autre structure parisienne. Les ateliers, destinés aux enfants de 0 à 6 ans et à leurs parents, varient selon les associations partenaires : contes, jeux, motricité, yoga, chant, arts plastiques…
L’objectif n’est pas seulement de divertir, mais de créer un nouveau rapport à la crèche et à la parentalité. Les activités impliquent les adultes autant que les enfants, et sont conçues pour pouvoir se poursuivre à la maison. Depuis son lancement expérimental en 2021, le dispositif a pris de l’ampleur : chaque samedi, 170 familles y participent, réparties sur 28 crèches (au moins une par arrondissement) parmi les 450 établissements de la Ville de Paris. L’objectif est d’élargir l’accès, notamment auprès des familles précaires souvent moins bien informées.
Un projet qui répond en tous points à notre plaidoyer
Force est de constater que l’esprit des « Samedis en famille » répond au plaidoyer mené depuis plus de dix ans par l’association 3-6-9-12+ et Serge Tisseron. Notre conviction : pour réguler l’usage des écrans chez les enfants, il faut offrir davantage d’espaces publics dédiés au jeu, à la parole et au partage. Serge Tisseron défend l’idée d’une ville à hauteur d’enfant, où les espaces de socialisation sont accessibles à toutes et tous, favorisant le développement, l’entraide et la régulation des pratiques numériques.
Même si Paris et quelques communes d’Île-de-France ont pris le virage en 2025, le déploiement reste timide. Mais le dispositif « Samedis en famille » marque une avancée concrète, traduisant enfin au niveau local cette volonté de placer l’enfant et les familles au cœur de la cité.
Une alternative aux écrans pour « Jouer, parler, arrêter la télé ! »
« Pas de télé avant 3 ans ! », slogan bien connu, est devenu pour 3-6-9-12+ « Jouez, parlez, arrêtez la télé ! ». Les ateliers des crèches ouvertes le samedi incarnent ce principe : interaction, jeu et apprentissage sont placés au centre de la relation parent-enfant. Serge Tisseron met en avant trois axes fondamentaux : l’Accompagnement (parler à l’enfant de ses expériences avec les écrans), l’Alternance (proposer des activités variées, encourager toutes les activités sans écran), et l’Apprentissage de l’autorégulation (fixer des limites, apprendre à patienter).
Avant six ans, l’enfant structure son rapport au temps et à la frustration : il apprend à attendre, à terminer une activité, à passer d’une découverte à l’autre, sur écran ou hors écran. Les ateliers proposent des manipulations de livres papiers, des jeux sensoriels, des moments de motricité libre et des contes à mimer, soutenant la créativité et l’ouverture au monde. Dans un cadre sécurisé et bienveillant, les parents expérimentent aux côtés de leurs enfants, guidés par des professionnels formés.
Il s’agit moins d’interdire les écrans que de valoriser toutes les alternatives aux écrans, l’accompagnement et la qualité des interactions. Cette approche engageant les parents dans les ateliers combat également la « technoférence parentale », c’est-à-dire le risque que les parents soient absorbés par leur téléphone dans les moments où ils s’occupent de leur enfant. Ce phénomène entraîne en effet des coupures répétées dans la relation parents-enfants, et détourne les parents de l’attention et du soutien nécessaire à leur enfant dans les moments partagés.
Des enjeux de politique publique : villes et petite enfance
Les écrans n’apportent aucun bénéfice avant trois ans, aussi Santé Publique France recommande de limiter le temps d’écran à trente minutes par jour à trois ans, une heure à six ans, et insiste sur la présence d’un adulte disponible. Mais différentes recherches (McDonald, 2018 ; Jonathan Bernard, 2024) montrent qu’en dehors des temps d’exposition très importants, les impacts des écrans sont réduits si l’on prend en compte le manque d’accès aux jouets, aux loisirs, aux équipements extérieurs, et le manque de personnes disponibles, physiquement ou psychiquement, pour les interactions.
La prévention va donc au-delà de la seule régulation numérique : elle s’ancre dans l’aménagement urbain et l’égalité d’accès aux espaces de rencontre, de jeu et de loisirs. L’UNICEF a lancé en France dès 2002 le label « Ville amie des enfants ». Désormais, près de 300 villes portent ce label sur les 35 000 communes françaises – une progression réelle mais encore insuffisante pour garantir à chaque enfant un environnement adapté.
Le développement des crèches ouvertes, des musées et des aires de jeux pour les plus jeunes devient une priorité pour lutter contre l’isolement familial, l’excès d’écran et les inégalités sociales. Ces espaces offrent aux enfants, sous le regard attentif des adultes, la possibilité d’évoluer librement, de découvrir à leur rythme, et de construire progressivement une relation équilibrée avec le monde numérique.
Ainsi, plus qu’un simple dispositif, les « Samedis en famille » incarnent une politique de proximité, d’ouverture et d’inclusion, où le lien, le jeu et la convivialité sont placés au cœur du projet éducatif et social pour la petite enfance.
CNV