6 février 2022

Le métavers, entre fiction et réalité

En fin d’année 2021, le groupe Facebook, détenant le site du même nom, Instagram ainsi que Whatsapp, a annoncé changer de nom, passant de « Facebook » à « Méta ». Ce nouveau nom n’a rien d’anodin, en effet, il réfère au mot « métavers » (contraction de « méta » et « univers ») qui désigne un monde virtuel fictif reprenant les codes du monde réel, voire son esthétique tout en les modifiant afin de favoriser les rencontres avec autrui. Cela n’est toujours pas très parlant ? Pas d’inquiétude, ce concept n’est pas simple à comprendre car il constitue une vaste étendue de possibilités. Deux exemples de films pouvant illustrer ce concept sont Matrix et Ready Player One. Dans le premier, Néo est plongé dans un monde ressemblant comme deux gouttes d’eau au monde réel, il ignore d’ailleurs que ce n’est pas la réalité. Après avoir découvert le monde réel, il choisit de retourner dans le monde virtuel où il découvre les nombreuses possibilités qui lui sont conférées (esquiver des balles en se baissant de manière impossible pour tout être humain – sauf Michael Jackson – sauter dans le vide, sans mourir etc.). Dans Ready Player One, Wade, le héros se rend également dans un monde virtuel reprenant l’esthétique et les codes d’un monde futuriste. Nous pouvons constater dans ce deuxième exemple que Wade, le héros, choisit de constituer un avatar virtuel (le représentant dans le métavers) très différent de ce à quoi il ressemble dans la réalité. 

Ces deux films nous questionnent sur différentes problématiques : Matrix nous interroge sur l’envahissement de la technologie dans notre vie réelle et à quel point cet envahissement peut, paradoxalement, nous « déconnecter » de la réalité. Quelle implication mettrions-nous dans le métavers ? A quel point cela influencerait les rencontres avec autrui ? Ready Player One nous interroge également sur cela, mais aussi sur la construction de l’avatar et à quel point nous pourrions créer une seconde identité totalement virtuelle sur internet. Bien que la création d’avatar existe déjà dans les jeux-vidéos, le personnage à l’écran constitue une projection de soi dans le sens où il est ressemblant mais extérieur à nous et à notre corps physique. La frontière du corps physique comme totalement différent du corps virtuel tombe dans Ready Player One, car il est nécessaire d’avoir des capteurs sensoriels disposés sur le corps pour faire bouger son avatar, comme s’il s’agissait de soi, mais aussi pour « ressentir » ce que le corps virtuel ressent. Par exemple, si le joueur se fait tirer dessus, il pourra ressentir les impacts de balles par le biais des capteurs disposés sur son corps. Toutefois la douleur causée serait amoindrie et n’impacterait pas autant le corps physique que le corps virtuel, ne mettant pas la santé réelle du joueur en danger.

Maintenant que nous avons une idée plus précise de ce qu’est le métavers et que nous avons dégagé un grand nombre de questionnements pouvant en découler, nous pouvons nous demander si un tel phénomène pourrait advenir dans notre société en 2022. En réalité, le concept de métavers existe déjà depuis 1997, grâce à un logiciel d’immersion en ligne créé par le studio Cryo Interactive et nommé « Le Deuxième Monde ». Les joueurs pouvaient personnaliser leurs avatars, se promener, se rencontrer, discuter, etc. dans un Paris recréé virtuellement. Cependant, le Deuxième Monde, jugé trop peu rentable par ses créateurs, fut amené à disparaître d’internet. La communauté virtuelle fondée lors de rencontre dans le Deuxième Monde, les « Bimondiens », tenta d’opposer une résistance à cette fermeture, en vain. Certains Bimondiens essayèrent alors de recréer un monde virtuel similaire (« Lutèce 2002 ») afin de faire perdurer l’expérience virtuelle dont avait émané un fort lien social. Un autre univers semblable et encore accessible aujourd’hui est « Second Life », édité par Linden Lab.

Toutefois, les univers que nous venons d’évoquer sont loin d’utiliser la même technologie que dans Matrix ou Ready Player One. En effet, l’ordinateur est le moyen « d’entrer » dans ces univers, là où les héros des films se trouvent plongés dans un dispositif où leur avatar et eux-mêmes ne font qu’un. Un avatar que l’on verrait à l’écran et que l’on contrôlerait serait-il différent d’un avatar que l’on incarnerait corporellement ?

Le métavers, lieu de rencontres virtuelles, de jeu et de création de lien social à distance, engendrerait donc de nombreuses questions éthiques : la machine virtuelle m’aliénerait-elle au point de me faire perdre pied dans le monde réel (Matrix) ? sociales : quel lien peut se créer avec un être à distance dont je ne vois que l’avatar (Deuxième Monde) ? et identitaires : quelle influence mon identité virtuelle a-t-elle sur mon identité dans le monde réel ? Sont-elles totalement dissociables ? La quête humaine de technologies toujours plus immersives et de qualité (meilleurs graphismes, fluidité des interactions…) complexifiera et amènera certainement d’autres interrogations dont nous n’avons pas encore idée aujourd’hui. Dans un même temps, cette recherche d’immersion et de qualité optimale pourrait freiner l’arrivée d’un nouveau métavers et l’accessibilité de celui-ci. En effet, la création d’un métavers immersif peut prendre du temps, et les équipements de qualité peuvent s’avérer coûteux…

Claire Lerat

Quelques sources pour approfondir le sujet :

Filmographie :

Wachowski Lana & Lilly (1999), Matrix.

Speilberg, Steven (2018), Ready Player One.

Le Deuxième Monde :

Vidéo promotive du Deuxième Monde, « Second World / Deuxième Monde », mise en ligne en novembre 2011 : https://www.youtube.com/watch?v=6w8Qtm5M4kY

Galibert, O. (2003). Vie et mort du Deuxième Monde: Etude critique d’une communauté virtuelle ludique. Les Cahiers du numérique, 4, 195-207. https://doi.org/  

Second Life :

Tisseron, S. (2008). Virtuel, mon amour. Penser, aimer, souffrir, à l’ère des nouvelles technologies.

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Un regroupement de praticiens de terrain, de chercheurs et d’universitaires, qui souhaitent participer à une éducation du public aux écrans et aux outils numériques en nous appuyant sur les balises 3-6-9-12 imaginées par Serge Tisseron.