12 juin 2024

Rapport d’experts sur l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans : Zoom sur l’école

Les collectivités territoriales sont en charge du déploiement et de l’équipement numérique dans les établissements de la maternelle au lycée. La commission constate un équipement inégal selon les territoires et plutôt en retrait par rapport à nos voisins européens. Ces initiatives se font souvent en collaboration avec les autorités académiques mais trop rarement avec les établissements eux-mêmes. Les enseignants se retrouvent donc avec des outils parfois imposés avec une formation limitée à son usage concret, et les familles se voient introduire dans leurs domiciles des outils dont elles ne comprennent pas forcément l’enjeu, les bénéfices et les risques attendus.  Au-delà de l’équipement, la commission interroge la façon dont le numérique est pensé et enseigner à l’école. Lors de nos rencontres et études sur le sujet nous avions déjà relevé les trois défis auxquels le numérique devait répondre à l’école : 

Le numérique à l’école : un triple défi

En tant que premier défi, Le numérique bouleverse tous les domaines, avec des conséquences considérables sur l’état d’esprit des élèves : le rapport aux savoirs, à l’apprentissage, la construction de l’identité, la sociabilité, etc. (Tisseron, 2024). Autant de domaines qui nécessitent que l’on s’attarde sur ce qui construit notre jeunesse, au-delà des préjugés et des représentations catégorielles.

Ensuite, notre système éducatif a été conçu avec l’ambition d’apprendre aux enfants des connaissances utilisables toute leur vie, en privilégiant l’intelligence hypothético-déductive sur toutes les autres (Tisseron, 2017). Le second défi sera alors d’intégrer ce que nous savons désormais sur les multiples formes d’apprentissages en y intégrant le corps, les sens et toutes les autres formes d’intelligences. D’autant plus que nous savons aujourd’hui que les apprentissages, qui se font tout au long de la vie, sont indissociables des émotions et de la socialisation (Johnson et al., 2017) ; 

Le troisième défi, enfin, sera celui des pratiques professionnelles de demain. Les métiers les plus demandés aujourd’hui n’existaient pas il y a 10 ans, et personne ne sait quels seront ceux à venir (Culié et al., 2021). Il ne faut donc pas former les jeunes à exercer un métier en particulier, mais plutôt à pouvoir construire leurs futurs emplois. Pour cela, il est nécessaire de leur apprendre à coopérer, collaborer, être créatifs, apprendre à communiquer avec les autres, apprendre à penser dans un collectif solidaire et apprendre à penser de manière complexe.

Par la révolution qu’il apporte, le numérique nous propulse dans une transformation à un rythme auquel nous n’avons encore jamais été habitués. Et s’il n’est pas possible d’envisager les transformations de l’école à la vitesse des avancées numériques, il nous faut penser le numérique d’une manière plus large qu’un simple outil en perpétuelle transformation. Trois axes de réflexion nous aident à penser le champ de l’éducation et les pratiques pédagogiques : apprendre le numérique, apprendre par le numérique et apprendre à l’ère du numérique.

Apprendre le numérique, c’est bien sûr comprendre l’outil qui est en sa possession, le fonctionnement d’internet, la société marchande qu’elle engendre mais aussi le traitement de l’information et la façon de la rechercher. La commission relève qu’actuellement, le programme de certification Pix ne permet pas aux élèves de faire le lien entre ce qu’ils apprennent et leurs pratiques personnelles du numérique, voire les dangers qu’ils pourraient rencontrer. Quant à l’EMI, l’éducation aux médias et à l’information, elle reste structurée de façon classique et ne permet pas le développement d’un réel esprit critique. Il est souligné que les expériences de la semaine des médias et de l’information sont des exemples pédagogiques qui mériteraient d’être davantage étendues dans le temps et dans tous les territoires.

 Apprendre par le numérique, c’est se servir de ces outils pour enrichir sa pédagogie, sortir du papier/crayon pour penser autrement. C’est aussi permettre à ceux qui n’ont pas forcément les mêmes capacités d’accès aux apprentissages de compenser leurs difficultés. Là encore, la commission relève que les solutions numériques pour les élèves à besoin particuliers sont encore trop aléatoires et insuffisamment explorées.

 Enfin, apprendre à l’ère du numérique, qui est sans doute le plus gros chantier, est une réflexion à mener sur la manière d’enseigner dans nos sociétés en pleine mutation : penser autrement l’apprentissage, les relations de sociabilités et les relations à l’identité, penser le collaboratif pour confronter les idées, penser la classe inversée pour apprendre à apprendre et, surtout, cultiver et alimenter sa créativité. À l’heure où les algorithmes nous servent toujours ce que nous connaissons déjà pour conforter notre opinion, nous avons besoin d’apprendre à nos élèves/enfants à penser par eux-mêmes, et donc à penser contre eux-mêmes.  Bien plus qu’une simple introduction des outils numériques dans les établissements scolaires, il semble évident que c’est leur appropriation par les enseignants et les élèves qui doit être encouragée. De plus, une compréhension des différentes évolutions psychiques et cognitives liées à la culture des écrans nous semble essentielle, afin de comprendre comment adapter les pratiques pédagogiques et de former au mieux les élèves face à la société à laquelle ils appartiennent, et qui continuera d’évoluer avec eux.

 La formation des enseignants apparaît donc une priorité absolue. Une formation initiale, bien sûr, mais aussi et surtout une formation continue sous forme d’un accompagnement vers la transformation et le changement. Mais la commission relève aussi la nécessité d’actions collectives auprès des familles et des collectivités pour trouver ensemble une cohérence et un usage raisonnée et raisonnable du numérique à l’école.

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Sophie Bruneteaux

Psychologue Education Développement et Apprentissage. Formatrice.