La publicité dans le jeu vidéo : vers un abus commercial ?
Au cours de l’année 2021, un article paru chez Axios a relancé la polémique concernant l’apparition de publicité au sein des jeux vidéo de type console. Publicité, marketing et jeux vidéo coexistent cependant depuis de nombreuses années. La démocratisation des jeux vidéo, que ce soit sur consoles ou smartphones, fait du joueur une cible idéal à atteindre. Est-ce là une nouvelle forme de communication ? Est-ce un phénomène potentiellement inquiétant qui émerge seulement aujourd’hui ? Pour cela, nous ferons un bref inventaire du lien qui existe entre les publicités et les placements de produits au sein des univers.
Cela fait pourtant de nombreuses années que le jeux vidéo est utilisé comme support commercial. Dès les années 80, ce sont les producteurs qui s’en sont servis afin de promouvoir la sortie de leur film, en témoigne le jeu « Tron » sorti en 1982 pour accroître les ventes du film homonyme de Disney ou bien Atari qui développera un jeu vidéo issu de l’univers Star Wars en 1983 au lancement de la saga désormais culte. Par la suite de nombreuses marques comme McDonald ou M&M’s (ou bien encore Pepsi, Kellog’s, Barbie, etc.) ont alors créé leur propre jeu vidéo respectivement en 1992 et 2002. Ce système promotionnel amènera à développer le néologisme « advergame » afin de définir un jeu vidéo servant à promouvoir l’image d’une marque. Tout ceci a naturellement amené à la création d’entreprise comme « Ad Invaders », une agence de conseil en communication par le jeu vidéo créee en 2006.
Du côté du jeu vidéo à vocation ludique, les publicités incluses ne sont pas non plus absentes et ce depuis bien longtemps, notamment en ce qui concerne des jeux de sport ou de voiture. En effet, les jeux de sport reprennent l’usage des marques incluses sur les différents terrains comme c’est le cas dans n’importe quel match de football ou de tennis officiel. Nous pourrions dire que cela fait même partie de l’univers en lui-même et participe à l’immersion. Même chose du côté des voitures, les jeux comme Need For Speed ou Gran Turismo font la part belle aux marques. Mais il s’agit là aussi d’un plaisir pour le joueur de pouvoir conduire les voitures dont il rêve. Notons qu’il s’agit ici de publicité dite statique, le format publicitaire le plus ancien. Ce sont l’intrusion de sponsors en adéquation avec le jeu. Les choses deviennent plus complexes avec l’arrivée des nouvelles technologies puisqu’il est désormais possible de faire de la publicité dite dynamique. Ceci amène les placements publicitaires au sein des jeux vidéo à s’adapter en temps réel afin de coller aux événements actuels dans la vie « réelle ». A ceci s’ajoutent les publicités qui pourront désormais être sur-mesure en fonction de nos propres recherches sur le net afin de placer des produits qui seraient les plus à même de nous intéresser.
Les grandes marques ont bien compris l’intérêt d’investir le milieu du jeu vidéo puisque les joueurs sont de plus en plus nombreux, et ce dans une tranche d’âge réputée labile pour les publicitaires (celle des 18-34 ans). De nombreuses marques de vêtements ont, par exemple, massivement investi les jeux vidéo. Louis Vuitton s’associe ainsi avec Riot Games pour créer une collection de vêtements. Fila s’associe avec Animal Crossing et Longchamp avec Pokémon. Au sein même des jeux vidéo, des vêtements de la marque Balenciaga sont disponibles sur Fornite ; avec Animal Crossing, ce sont Marc Jacobs et Valentino qui habillent notre avatar. Jusque là, rien de véritablement nouveau en soi. Dès le début des jeux vidéo, les marques se servent des outils à leur disposition pour faire leur travail, à savoir promouvoir et vendre. La logique reste la même mais prend de nouvelles formes dûes aux possibilités des nouvelles technologies d’une part, et d’autre part au fait que le jeu vidéo est devenu un objet culturel massif qui peut donc rapporter bien plus que ce ne fut le cas auparavant.
Cependant la présence des jeux mobiles de type free-to-play a amené une nouvelle démarche publicitaire. Ces jeux, au-delà des achats pouvant parfois être proposés dans le jeu, génèrent leurs revenus par la diffusion de publicité. Parfois celle-ci est proposée en plus au joueur en échange d’un contenu au sein du jeu. Ce système se développe massivement car cela marche bien, très bien. Vu que les joueurs semblent prêts à supporter une publicité de quelques secondes en échange d’un contenu dans le jeu, pourquoi ne pas faire la même chose au sein d’un jeu payant ? C’est là toute la polémique suscitée par l’article d’Axios. En effet, selon cet article, les joueurs seraient désormais prêts à l’accepter. Cela va pourtant à l’opposé de certaines polémiques ayant eu lieu ces dernières années concernant l’utilisation abusive de la publicité dans les jeux vidéo. En témoigne le cas de EA Sports UFC 4 ou encore le jeu NBA 2K21 dont le jeu impose carrément les publicités aux joueurs. La différence majeure qui a provoqué la fureur des joueurs, c’est que ce type de jeu est facturé entre 70 et 80 euros aux consommateurs. Axios affirme que ceci serait susceptible d’arriver désormais sur console via des développeurs comme Hi-Rez et EA. Un pas de plus semble franchi.
Pour conclure, le lien entre jeux vidéo et publicité ne relève pas d’un phénomène nouveau. Celui-ci existe et évolue au fil des pratiques et des outils mais la volonté des marques d’aller chercher les consommateurs même dans les univers virtuels interroge et invite à mieux comprendre ce dont il retourne afin de pouvoir se protéger et protéger les très jeunes consommateurs. Du côté des jeux mobiles, le contrôle parental pourrait au minimum permettre aux enfants de ne pas réaliser des paiements pour lesquels ils seraient fortement sollicités. Cela n’empêchera malheureusement pas les publicités intempestives auxquelles ils seraient inévitablement exposés. Au sein des jeux consoles, nous n’y sommes pas encore. Il n’est pas dit que les joueurs soient prêts à payer un jeu 70-80 euros pour se voir proposer de la publicité et que les tentatives soient rentables. Mais les marques sauront trouver des arguments convaincants puisque des éditeurs auraient déjà signé pour. Lorsque cela sera le cas, il conviendra d’être attentif aux types de publicités se retrouvant dans le jeu, en espérant un éclairage clair et précis des logiques commerciales introduites. En effet, il apparaît important d’informer au mieux les parents de l’existence de ces pratiques commerciales au sein des jeux vidéo afin de protéger leurs enfants. Enfin, il sera intéressant de voir l’impact que cela procurera sur le joueur pourtant immergé dans un monde parfois loin de la réalité qu’il connaît. Comme l’indique Julien Chièze, journaliste jeu-vidéo, il est inconcevable de payer un jeu, et en plus sortir de son expérience vidéoludique pour consommer de la publicité.
Romain Lang
Article Axios :
Ad-invaders
https://www.ad-invaders.com/serious-games
Advergame :
https://www.senscritique.com/liste/Advergames_ou_le_marketing_et_les_jeux/269382#page-1/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Advergame#Cr%C3%A9ation_de_jeux_promotionnels_(1982-1983)
Articles jeux-video.com :
Free-to-play :
https://www.mymedia.fr/2019/05/13/la-publicite-et-les-jeux-mobiles-une-histoire-qui-marche/
Avis et analyse de Julien Chieze sur l’article Axios :
Marques de vêtement et jeux-vidéo :
https://www.longchamp.com/fr/fr/maison-longchamp/actualites/News_2020_Sept_3.html
Polémique : NBA 2K21
https://www.jeuxvideo-live.com/news/nba-2k21-impose-des-pubs-aux-joueurs-99807
