27 septembre 2019

« On se souviendra de notre époque comme celle du numérique sauvage », estime Bruno Patino

Neuf secondes, c’est le temps de concentration maximal de la génération des Millenials, ceux qui sont nés avec l’Internet. Neuf secondes, une de plus que le poisson rouge, quand 70% des Français reconnaissent leur dépendance aux écrans.

Bruno Patino évoque dans ce livre la manière dont s’articule l’économie de l’attention, entre neurosciences et marketing. On mesure ici le chemin parcouru depuis l’utopie de partage des connaissances et de sociabilité des débuts de l’Internet.

Le point de départ : le temps passé en connexion. En 2018, les 24h d’une journée d’un Américain en représentaient trente. Nos activités se chevauchent dans une espèce de frénésie de connexion continue avec un zapping qui correspond aux sollicitations envoyées par les entreprises du net. Le temps passé sur son smartphone a doublé entre 2012 et 2016, un peu partout dans le monde. Et les experts s’attendent à un nouveau doublement d’ici l’année prochaine.

L’auteur est parti du constat que le rapport que l’on entretient à son smartphone et à différentes plateformes tient davantage de l’addiction que de l’usage. «, parce qu’elles ont dû trouver leur modèle économique, se sont mises à capter notre attention et à faire de l’argent avec. Mais conquérir notre attention, c’est conquérir notre temps, voilà ce qui s’est passé”.

Le modèle économique des plateformes en question s’appuie sur la captation de notre attention à tout moment, et ambitionne de nous voir connectés en permanence, y compris pendant les temps du couple, du travail, des repas, etc. Les plateformes ont fait appel aux expertises neuroscientifiques pour susciter une consommation un peu boulimique, qui nous fait nous précipiter sur les réseaux. Ce n’est pas un complot, c’est le résultat d’une logique économique. Et « À partir du moment où ces sociétés ont accès à nos données comportementales, donc potentiellement à l’intégralité de notre temps car nous sommes en connexion permanente : elles vont utiliser des outils qui sont déjà connus, pour essayer de conquérir du temps sur du temps déjà utilisé.”

Bruno Patino dresse un constat implacable et décortique un système dont il est possible de sortir. Mais ce « petit traité sur le marché de l’attention », tel que l’indique le sous-titre, ne se contente pas de dresser un bilan anxiogène : il réconcilie les lecteurs avec la formidable révolution anthropologique qu’est le numérique.

La Civilisation du poisson rouge (Grasset), Bruno Patino, actuel directeur éditorial d’Arte France et directeur de l’école de journalisme de Sciences Po.

Thérapeute enfant et adolescent, psychanalyste

 
 

photo de l'auteur

Annick Joncour

Psychologue clinicienne, thérapeute enfant et adolescent, psychanalyste.