Film : école et démocratie, l’empathie ne suffit pas
Puisque la nouvelle formule de cette newsletter rassemble des préoccupations liées à des associations qui s’occupent de technologies, de harcèlement et de démocratie, un film sorti en 2024 (actuellement disponible en streaming) nous semble réunir tous ces thèmes. Il s’agit de La salle des profs, un film allemand réalisé par Ilker Çatak[1].
Tout d’abord, pour nous autres Français, il est toujours surprenant de voir comment fonctionne une classe allemande. On y découvre la place donnée aux initiatives des enfants, le rôle du vote dans la vie de classe et l’importance du tutorat entre élèves. Par exemple, au moment où elle rend leurs copies aux élèves, la professeure de mathématique demande à un élève qui a une bonne note d’expliquer les exercices à un camarade qui ne les a pas compris. D’ailleurs, dans certaines classes, en Allemagne, l’inscription suivante figure au-dessus du tableau : « Si tu ne comprends pas, ne dérange pas l’enseignant, demande à ton camarade. » Inimaginable en France !
Pourtant, toutes les propositions des élèves ne sont pas forcément bonnes à suivre. Après la remise des copies d’une épreuve, une adolescente demande que toutes les notes soient affichées au tableau afin que chacun puisse connaître « sa place dans la classe ». Ce à quoi l’enseignante répond : « Ta place dans la classe, c’est sur ta chaise. » Il s’ensuit un débat, qu’elle tranche finalement en justifiant sa décision. Autrement dit, même sur un point aussi central en pédagogie, le débat n’est pas refusé, mais c’est l’adulte qui décide. De même qu’à la fin du film, les élèves seront laissés libres d’écrire ce qu’ils veulent dans leur journal d’établissement, mais la cheffe d’établissement interdira qu’il soit diffusé au dehors.
Mais pourquoi organiser un débat puisque la décision est déjà prise ? Pour que les élèves, en débattant, comprennent que la discussion est possible autour de toutes les questions, même celles que l’autorité prétend avoir tranchées. Accepter le débat, c’est reconnaître que la décision appliquée est conjoncturelle. Refuser le débat, c’est laisser imaginer qu’il n’existe aucune raison de s’interroger, et donc que la solution imposée est la seule imaginable. Ce qui est hélas bien souvent le cas en France dans l’institution scolaire.
Le film débute au moment où l’établissement est confronté à une série de vols. L’implication du voleur, dont la culpabilité est impossible à établir officiellement du fait de l’absence de preuve juridiquement valable, provoque une crise grave. Le consensus qui incitait jusque-là à ne voir en chaque enseignant ou élève qu’un parmi d’autres, commence à se fissurer. L’opposition entre « les autres » et « nous » s’insinue partout. L’origine des professeurs devient même un sujet de questionnement, voire de suspicion. L’héroïne, qui est d’origine polonaise, demande à un collègue lui aussi polonais de ne lui parler qu’en allemand pour ne pas donner l’impression que « les Polonais ont quelque chose à cacher ». Les tensions ne font que commencer et il se révèle rapidement que l’empathie ne suffit pas pour les dépasser. Dans une démocratie, tous les individus sont respectés par les lois et les institutions. Mais si une dérégulation s’introduit, chacun se voit contraint de choisir l’un des camps en présence. Des méthodes qui pouvaient la veille paraître inimaginables à une communauté peuvent soudain être brutalement appliquées sous prétexte de « résoudre la crise », sans que ceux qui les appliquent ne demandent l’avis de leurs collègues qui s’y trouvent impliqués malgré eux.
Ce film nous rappelle que les démocraties sont fragiles et que le seul moyen qu’elles ont de survivre est la concertation. C’est ce que l’héroïne cherche à faire tout au long du film avec ses élèves. Mais à quoi bon leur apprendre l’empathie et les règles du jeu démocratique si l’équipe pédagogique est prête à y renoncer ?
[1] Ce texte résume un article publié sous le titre « De la fragilité des démocraties » dans la revue L’école des parents, n° 651, pages 23-25.
