The Fabelmans de Steven Spielberg : l’image et ses pouvoirs
« The Fabelmans », de Steven Spielberg, réalisateur emblématique du cinéma américain, est sans doute son film le plus personnel et le plus intime. Il porte sur son enfance et la naissance de sa vocation de cinéaste. Mais cette œuvre est surtout une formidable réflexion sur les pouvoirs de l’image, et sur la manière dont celle-ci peut influencer nos perceptions et nos souvenirs.
Dans “The Fabelmans”, Spielberg se penche sur ses propres souvenirs d’enfance, dans une famille de la classe moyenne américaine des années 50 et 60. De son véritable nom Samuel Fabelmans, il est le seul garçon d’une fratrie de quatre, élevé dans un environnement chaleureux et aimant, entre une mère artiste et fantasque qui fut pianiste de concert avant de se consacrer à l’éducation de ses enfants, et un père ingénieur et technophile. C’est en effet lui qui a créé l’ordinateur GE-225 pour Général Electric en 1959, sur lequel sera élaboré Basic, le tout premier langage de programmation qui a permis d’initier la révolution de l’informatique personnelle. Et de plus, il possède une caméra avec laquelle il apprécie de filmer sa famille…
Le parcours du jeune Samuel et du futur Spielberg suivra 4 étapes tout au long de ce film magnifique.
De l’image qui sidère à l’image qui soigne…
Le film s’ouvre sur la toute première séance de cinéma à laquelle assiste le petit Samuel, alors âgé de six ans. Ses parents sont très excités à l’idée de lui faire découvrir cet univers, et le préparent à ce moment comme on rêverait que tous les parents le fassent ! Ils lui décrivent le dispositif, le noir de la salle, les émotions que l’on peut ressentir, tout en insistant sur le fait que tout cela n’est qu’illusion.
Celui qui deviendra l’immense Spielberg est alors confronté au premier pouvoir de l’image : celui de nous effrayer ! Traumatisé par la collusion entre un train et une voiture mise en scène dans le film visionné, Samuel cauchemarde, s’angoisse, demande un train électrique pour son anniversaire, avec lequel il reproduit sans relâche la scène pour mieux l’apprivoiser. Son père se scandalise qu’il traite ainsi ce magnifique objet technologique qui lui a été offert, et il lui interdit les déraillages intempestifs. C’est alors qu’intervient la mère, fine mouche, avec cette proposition qui sans doute décidera de la future carrière du garçon : pourquoi ne pas faire dérailler le train une dernière fois pour le filmer, puis regarder ensuite à l’envi l’accident afin qu’il perde peu à peu son pouvoir toxique ? Samuel découvre alors que l’image peut aussi soigner : c’est son pouvoir thérapeutique. Le cinéma, à la fois poison et contre-poison !
À partir de là, Samuel se met à filmer beaucoup, tout le temps, imaginant des scénarios dans lesquels il fait tourner ses sœurs ou ses copains scouts. Avec de tout petits moyens et beaucoup d’inventivité, ses films sont déjà formidables ! Sa mère l’encourage avec beaucoup d’enthousiasme. Son père est plus partagé : pour lui, le cinéma doit rester un hobby, cependant il met systématiquement à la disposition du garçon les outils technologiques qui lui permettent d’avancer et de progresser dans sa pratique.
L’image qui révèle
Devenu adolescent, Samuel part camper en pleine nature avec sa famille et un ami de ses parents, et filme de A à Z le déroulé du séjour. C’est en faisant au retour le montage de ces moments heureux qu’il voit dans les images filmées ce qu’il n’avait pas su voir dans la réalité : la liaison amoureuse entre sa mère et cet ami, qui dévastera le bel équilibre familial. Le pouvoir de révélation des images lui cause alors tant de tourment qu’il en délaissera la caméra pour quelques temps.
L’image qui ment
Enfin, après un déménagement en Californie, il a du mal à s’intégrer dans son nouveau lycée, subissant différentes formes de harcèlement. C’est en reprenant sa caméra pour se faire le « reporter » de la journée festive de l’établissement qu’il retrouve sa contenance et sa confiance en lui, et savoure une vengeance inattendue. Il expérimente en effet le pouvoir de manipulation de l’image… Au montage des scènes saisies sur le vif, il présente l’un de ses harceleurs comme un looseur absolu en privilégiant tous les moments où il se ridiculise, et le second, bellâtre à la masculinité toxique, comme une sorte de Dieu de l’Olympe. La réaction du premier, sous la risée de l’assistance, est bien compréhensible. Celle du second est plus inattendue : confronté à une image de lui-même rêvée mais si parfaite qu’il ne l’atteindra jamais, il entre dans une colère noire et destructrice, qui le vise lui-même autant que Samuel Fabelmans, chef d’orchestre habile de cette propagande mensongère.
De Fabelmans à Spielberg
Après avoir expérimenté au fil de son enfance et de son adolescence l’image qui sidère, celle qui soigne, celle qui révèle et celle qui ment, Samuel est prêt à se consacrer son art. Il entame des études académiques qu’il abandonne bien vite et parvient à se faire recruter comme assistant dans un studio de cinéma. C’est là qu’il rencontre John Ford, incarné à l’écran par David Lynch, qui lui donnera en quelques minutes d’entrevue une magnifique leçon de cinéma. Samuel Fabelmans est armé pour devenir Steven Spielberg…